Je sors de l’hémicycle, écœuré, après le vote définitif par l’Assemblée du projet de loi libéralisant les paris et jeux d’argent en ligne.
En réponse à la claque des régionales, le camp présidentiel avait promis de « revenir aux fondamentaux », d’en finir avec les dérives, les politiques baroques ou d’ouverture déplacées. En guise de « fondamentaux », voilà les Français servis ! Ils apprécieront ce qu’il faut bien appeler le pire message qu’on pouvait leur envoyer…
Inutile de préciser, bien entendu, que j’ai voté contre ce texte abject, qui va engraisser des actionnaires privés sur le dos de millions de nouveaux joueurs abusés, vers lesquels on va augmenter considérablement l’offre de jeux d’argent.
Cette libéralisation est à la fois immorale et hypocrite.
Immorale car elle remplace un monopole public dont les profits allaient directement au budget de l’Etat et dont l’agressivité publicitaire, comme la variété des jeux proposés, était relativement restreinte. Ce système, tout en modérant donc l’addiction au jeu, permettait également de lutter efficacement contre le blanchiment d’argent sale. Avec la libéralisation, c’est fini : une offre pléthorique en nombre et en variété, une publicité légalisée qui ira racoler l’internaute à chaque instant de sa vie, un contrôle de l’âge légal évidemment contourné, une prévention des risques inexistante ou presque dans les faits, etc. On aurait aimé voir autant d’empressement de la part du gouvernement à encadrer le crédit à la consommation dont les abus conduisent au surendettement de plus en plus de Français fragiles, projet de réforme qui a été mollement défendu par le ministre avant d’être purement et simplement ajourné !
Cette libéralisation est aussi foncièrement hypocrite, tous les arguments avancés pour la défendre résonnant comme des prétextes.
On nous a d’abord expliqué que Bruxelles l’imposait. Or, sans nier la culture ambiante ultralibérale distillée par la Commission - qui culpabilise nos élites ou… les décomplexe ! -, il est tout bonnement faux d’affirmer que la France n’avait pas le choix : un arrêt de la Cour européenne de Justice, donnant raison – pour une fois ! – à un Etat membre qui refusait de déréguler (en l’occurrence le Portugal), a clairement montré que notre pays pouvait parfaitement maintenir le monopole de la Française des Jeux et du PMU.
On a alors allégué que cette libéralisation « encadrée » était indispensable pour assécher l’offre illégale sur internet. La belle histoire : ainsi, les autorités seraient capables de traquer et de punir les millions de contrevenants à la loi Hadopi sur le téléchargement gratuit, mais ne le seraient pas pour faire la chasse et couper l’accès en France à ces quelques dizaines de sites pirates de paris en ligne ? A d’autres…
Alors quoi ? Outre la tentation de céder aux sirènes du tout-libéral européen, outre l’objectif de lever quelques nouvelles recettes fiscales, comment ne pas voir que la majorité veut en réalité faire plaisir aux « amis du Fouquet’s », à ces proches du chef de l’Etat qui n’en ont jamais assez, qui veulent une part toujours plus grosse du gâteau du tout-fric et du tout-marché !
On est ici dans la caricature de la trahison de l’intérêt général au profit de quelques intérêts particuliers. Pourtant, dans leurs tréfonds, les Français aspirent à renouer avec une autre société, pas celle du travail le dimanche et des paris en un clic à toute heure : une société fondée sur des valeurs de partage, de responsabilité pour soi et pour les autres, où la modération et le sens de l’intérêt collectif l’emporte sur l’assouvissement des bas instincts.
Décidément, il est temps de sortir de ce quinquennat lamentable où rien ne nous aura été épargné. Deux ans, c’est court me direz-vous. Mais comme ces deux ans-là paraissent longs…
NDA